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Voies anciennes et littérature en pays de Liège:l'écrivain Jacques Izoard , par Paul ROLAND

 

IZOARD Jacques (1936 – 2008)

Né à Liège en 1936, Jacques Izoard y a enseigné le français, à l’athénée puis à l’université.

Animateur de nombreuses rencontres littéraires, il a dirigé plusieurs revues, donnant la parole pour la première fois à de jeunes auteurs, aujourd’hui reconnus pour leur talent, comme Jean-Pierre Otte ou Eugène Savitskaya.

Il a publié une quarantaine de recueils, dont certains très importants. Ainsi, Le bleu et la poussière vient de se voir attribuer le prix triennal de poésie de la Communauté française de Belgique. 

L’imagination, chez lui, s’attache à des sites familiers : la maison, le jardin, les rues de la ville, des paysages d’Ardenne, des Asturies ou des Rocheuses canadiennes. 

Le corps, souvent perçu par fragments, permet de tisser un réseau de correspondances, de dérives qui conduisent à l’univers entier.

 

(...)   "Ainsi, la ville et ses noms de rues, ses noms de rues et le nom de ma rue. Chevauchons de lieux en lieux à l’affût d’air plus léger, plus clair. Rue des cloutiers. Il n’y a plus de cloutiers. Rue des Artisans. Il n’y a plus d’artisans. Rue des Mineurs. Il n’y a plus de mineurs. Escaliers des Tisserands. Il n’y a plus de tisserands. Les mots mentent sans cesse et nous laissent la cervelle creuse. Mots creux, sans coquille ni bogue. Mots aériens qu’un rien disperse. Rue Chevaufosse. Il n’y a plus ni chevaux ni fosses. Et rêvons de nouvelles dénominations : rue des rêveurs éperdus, rue des dormeuses ensablées, rue des penseurs à la Rodin, rue des toucheurs d’écume, rue des amoureux d’amour, rue des coupeurs de cheveux en quatre, rue des bavards noirs de suie, rue des faiseurs d’embarras...


Où écrivez-vous ? Dans les bistrots ? Sur les bancs publics ? Au fond des forêts d’Ardenne ? L’écriture chemine à travers les circonvolutions crâniennes, en détours et retours des pays d’ailleurs. Ici n’est que le socle palpable et visible. Mais la nuit n’est de nulle part. Rouge-Minière, août 1947. Le jeune garçon tient un énorme maillet (maillet cousu de bleu des laines ou maillet qu’un poing martèle) avec, à l’avant-plan, une roue de chariot et des pieux prêts à être fichés en terre. Mais tout s’oublie. Seule l’écriture, tout en venant d’ailleurs, comme les torrents d’Ardenne ou d’Asturies, lèche et touche et caresse nos sexes et nos visages" (...).

(extrait de Corps, maisons, tumultes, éd. Belfond 1990.)

 

Ainsi, la ville et ses noms de rues...

Au début du poème, surgit le mot ainsi qui indique normalement que la suite viendra comme un exemple, une illustration, mais de quoi ? Izoard vient de parler d’une cité engloutie déjà, sans qu’on le sache : « Use les usines d’Ougrée dont les ouvriers brûlent à petit feu, avec des escarbilles sous la peau, dans des cafés mal famés d’une cité engloutie déjà, sans qu’on le sache, sans qu’on le sache... » Plus haut, encore, il évoque la « Ville en miettes dont l’écriture se retire avec fracas, ville incendiée de mots, ville à petits mots que l’on déchiffre à peine. Je rêve d’une façade gigantesque et sur chaque brique : un poème ! (...) Le corps dénudé est ma page et j’y écris à plaisir les mots miens . »

C’est donc de Liège qu’il s’agit et du rêve que le poète entretient de bâtir une maison ou une ville avec des mots. Mais seul, le corps (l’individu) permet d’écrire, de construire quelque chose.

La première litanie de noms de rues conduit à l’impression que les mots mentent, qu’ils peuvent trahir la réalité. Du coup, la réaction du poète est de se mettre à inventer de nouvelles dénominations de rues, de nouveaux mots. ( Les mots sont creux, mais ils volent – sont aériens – et permettent de rêver.)

Le texte s’oriente alors vers une interrogation sur les origines de l’écriture : puisque les mots mentent, pourquoi écrit-on ? D’où vient ce besoin d’écrire ? Où écrit-on ?

- Dans les bistrots : image représentative de la réalité, le bistrot est un lieu de rencontre.

- Sur les bancs publics : image représentative de l’errance.

- Au fond des forêts d’Ardenne : image représentative des origines de la ville ( l’Ourthe et la Meuse viennent des profondeurs de la forêt).

L’écriture est un phénomène aussi complexe que la circulation des courants électriques dans le cerveau.

Un souvenir personnel affleure alors : le jeune adolescent qui enfonce des piquets de clôture, préfigurant peut-être l’écrivain enfonçant ses mots ?

Le poème s’achève en comparant l’écriture à un torrent venu d’ailleurs (Ardenne ou Asturies), qui définit notre identité (sexe et visage).

 

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